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La Russie en Ukraine, cas exemplaire de l’utilisation des opérations d’influence

Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI. La suite de l’article est disponible dans DSI Hors-Série n°41, avril-mai 2015. Aucune reproduction autorisée.

En quelques semaines de temps, Moscou prend appui sur le mouvement Euromaïdan pour justifier l’invasion puis l’annexion de la Crimée, avant de s’engager en soutien des indépendantistes dans l’est de l’Ukraine. Mais derrière cette opération complexe se cache une gestion plus qu’appropriée de la guerre de l’information et représente peut être le premier cas historique d’un rôle cardinal des opérations d’influence.

Vu d’avril 2015, les opérations russes conduites depuis mars 2014 ont tout l’air d’une réussite : la Crimée est formellement annexée et la situation dans l’est de l’Ukraine est gelée au terme des accords Minsk-2. Mieux encore, ces derniers prévoient un retrait de l’artillerie qui était la principale force à disposition de Kiev. En cas de « dégel » dans l’est, Moscou et les séparatistes pourront donc s’appuyer sur un combat d’infiltration qu’ils maîtrisent mieux que Kiev, tout en ayant eu le temps de fortifier leurs positions.

Mais comment est-il possible que la souveraineté d’un Etat européen indépendant depuis 1991 – et par ailleurs garantie en 1993 par la Russie elle-même[1] – puisse être ainsi remise en question ? La réponse est à chercher dans la stratégie informationnelle retenue, plus d’ailleurs que dans les facteurs « cinétiques ». Pour ce faire, Moscou a travaillé dans une logique « multispectrale », sur différentes lignes d’opérations.

La ligne d’opération politique

La première est de nature politique : elle vise à substituer aux logiques européennes post-guerre froide, à laquelle a d’ailleurs adhéré la Russie[2], une logique de nature impériale. Dans ce cadre, l’Ukraine n’est plus considérée au premier chef comme un Etat indépendant et souverain mais, d’abord et avant tout, comme un territoire relevant de la sphère d’influence russe. Par conséquent, tout ce qui est perçu comme une atteinte à cette zone est vu comme une attaque visant la Russie.

Il y a donc substitution d’une narration – chaque Etat est indépendant et reconnu comme tel – par une narration fondée sur des concepts plus évanescents, dont la « mollesse » peut être exploitée. C’est certes le cas pour celui de « zone d’influence » mais ça l’est également pour celui d’Union européenne, dont l’aide est tantôt considérée comme avantageuse – ça l’était avant Maïdan, parce qu’elle offrait des perspectives de développement à une voisine de la Russie, qui en profiterait indirectement – tantôt comme dangereuse.

Dans le discours de Moscou, l’UE et sa politique de bon voisinage a parfois ainsi été présentée comme la « porte d’entrée » vers l’OTAN. Ce n’est évidemment pas vrai mais une collusion entre les deux, évoquée de temps à autres dans le cadre de cet autre concept mou qu’est « l’occident » ou « l’ouest », renforce le discours. Paradoxalement, la même politique de l’UE à l’égard de la Biélorussie ou de la Serbie n’a suscité aucune critique de la part de Moscou.

Ce qui légitime ce « deux poids, deux mesures » est alors le Maïdan lui-même, dans la réalisation duquel la main de Washington est présentée comme décisive. La narration s’appuie alors sur une vision des Etats-Unis comme une hyperpuissance que concrétiserait la présence à Kiev du sénateur John McCain mais aussi de, selon les sources, 300 à 400 mystérieux « contractors »[3]. Moscou utilise donc habilement l’histoire à son profit : de fait, les services américains ont plusieurs coups d’Etat ou tentatives de coups d’Etat à leur actif.

C’est également le cas pour Moscou, mais ils sont nettement moins documentés et faire passer l’idée que les Etats-Unis cherchent à amoindrir la puissance russe, éventuellement en favorisant une révolution, n’est guère compliqué. On ajoutera à cette logique d’instrumentalisation historique les référentiels à la « grande guerre patriotique », liant une Allemagne contemporaine ayant poids certain dans l’UE et des populations ukrainiennes dont une partie a ouvertement collaboré avec l’occupant nazi.

La suite de l’article est disponible dans DSI Hors-Série n°41, avril-mai 2015. Aucune reproduction autorisée.


[1] En l’occurrence en échange par Kiev des dernières charges nucléaires soviétiques qui étaient encore présentes sur son territoire,

[2] En particulier via l’OSCE.

[3] Présentées comme « preuves » de leur présence, les photos dans la presse russe montraient des combattants tchétchènes ou des OMON membres du ministère russe de l’intérieur…

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