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Du FAMAS à l’AIF (Arme d’Infanterie Future)

Un fantassin de l'armée française équipé d'un FAMAS. (© DR)
Entré en service à l'aube des années 1980, le FAMAS Mle F1 reste aujourd'hui le fusil automatique classique de l'armée française. Toutefois, l'armée de Terre se prépare à lancer un appel d'offres international pour lui trouver un successeur car il est arrivé en « butée d'évolution » malgré ses qualités qui en font encore aujourd'hui une arme de premier plan.

Adopté en 1977, le fusil automatique de la Manufacture de Saint Etienne modèle F1 fut conçu à la fin des années 1960 autour de la cartouche d’origine américaine de 5,56 x 45 mm (1). Ce ne fut pas sans mal car, à l’époque, l’EMAT marquait sa préférence pour le fusil allemand HK 33, fabriqué sous licence par la MAS qui produisait déjà le G 3 en 7,62 x 51 (2) et la CAL (carabine automatique légère) de la FN Herstal. D’excellente facture, le HK 33 en 5,56 x 45 fut rejeté pour des raisons politiques, le ministre de la défense d’alors, Michel Debré, ne voulant « pas voir un fusil allemand dans les caserne françaises » et la CAL qui faisait partie d’un accord dans le cadre du marché des Mirage F-1 aux forces aériennes belges fut écartée lorsque ces dernières lui préférèrent le F-16. La solution M-16 fut envisagée (3) parmi d’autres mais rien que l’idée de voir défiler sur les Champs Elysées les soldats français armés d’un FA « made in USA » défiait la « pensée gaullienne » d’indépendance même si les M 16 avaient été fabriqués sous licence à la MAS pour donner satisfaction aux syndicats toujours très ombrageux sur le statut des ouvriers d’Etat et la conservation de l’emploi dans le bassin stéphanois.
L’EMAT se trouvait coincé entre ces considérations politico-industrielles et les nécessitées technico-opérationnelles qui remontaient des unités principalement mécanisées. Celles-ci, « enfermées dans leurs boîtes à sardines » (AMX-13 VTT et le nouvel AMX-10P) trouvaient, avec raison (4), leurs FSA 49/56 trop encombrants (cannes à pêche) surtout au moment de sortir de leurs engins. La situation empira avec l’apparition du VAB destinés à remplacer les camionnettes tactiques dans les unités motorisées. Même les pilotes de l’ALAT réclamaient, comme les équipages d’engins blindés, une arme courte d’auto défense afin de remplacer le PM MAT 49 et le PA Mle 50 MAC. Pour les pilotes de l’ALAT certains préconisaient même une arme du type Mauser C 96 Schnellfeuerpistole (5) ! Il fallait donc une arme courte standard et commune. Dans un premier temps, on pensa à un FA à crosse repliable comme sur la CAL. Problème, ce genre de FA ne pouvait encaisser le tir de la grande antichar de 500 gr (AC 58) et ne supportaient le tir de la grenade APAV 40 qu’en tir direct. Par ailleurs, l’infanterie réclamait une arme unique capable de remplacer le FSA 49/56 mais aussi le PM MAT 49 afin de faciliter la logistique avec une seule munition (5,56 x 45) au lieu de la 7,5 x 54 et de la 9 x 19 mm. En cela, l’armée française rejoignait les forces de l’OTAN qui préconisaient « la boule de feu » plutôt que le tir de précision réservé aux tireurs d’élite mais aussi aux mitrailleuses (7,62 et 12,7 mm) et aux canons mitrailleurs (20 mm) qui, montés sous tourelleau ou tourelle, assuraient un appui feu stable aux groupes de combat débarqués. De ce fait, l’EMAT adopta le FAMAS arme courte (757 mm) mais qui, grâce à sa conception bullpup, disposait d’un canon aussi long sinon plus que des armes classiques (488 mm) et donc une bonne précision dans la profondeur des 300 m.
Les cartouches de 5,56 mm M-193 étant plus légères (11,20 g) que celles de 7,5 x 54 mm (23 g), chaque combattant pouvait ainsi emporter pratiquement une dotation double à poids égal. Comme nous l’avons déjà signalé dans notre fiche technique sur le FAMAS dans DSI n°54, ce dernier par son système de fonctionnement (culasse non calée avec amplificateur de recul) ne pouvait tirer la cartouche de 5,56 mm OTAN (M-193) à étui laiton car elle entraînait de nombreux incidents de tir avec rupture de culot ou d’étui. Il fallut donc concevoir une cartouche de 5,56 mm spécifique. Aussi, l’ALM (Atelier du Mans) développa un étui en acier plus résistant que le laiton mais aussi un projectile recouvert de Tombac, moins agressif pour le canon que les projectiles en acier. Ce fut le modèle F1. Par ailleurs le chargeur de 25 cartouches n’était pas interchangeable avec celui du M-16, ce qui fut un lourd handicap pour les ventes à l’exportation. En un mot, le FAMAS, malgré son calibre était une arme hors normes OTAN, même avec son canon rayé au pas de 12 pouces (comme le M-16). Mais sa munition Mle F1 obligeait un éventuel acheteur à l’exportation à ne s’approvisionner qu’auprès de l’ALM (Atelier de Mans), au prix de celui-ci, sans pouvoir lancer un appel d’offres international. Si certains nombre de pays africains acquirent des FAMAS, ce fut à travers les crédits de la Coopération. Toutefois, la décision prise par l’armée française d’adopter le FAMAS ne fut pas forcément une bonne nouvelle, car pour fournir pas moins de 400 000 exemplaires à l’ensemble des forces armées, la MAS dut reconstruire de toute pièce une unité de production, c’est-à-dire investir dans la remise aux normes de bâtiments promis à la démolition et la réfection de leur toiture (hors de prix !).
Pour la fabrication des canons, l’établissement dut acheter en Autriche des machines à marteler à froid (6). Il fallut négocier aussi avec des sous-traitants stéphanois et du sud-ouest dont celui chargé de la réalisation de toute l’enveloppe en matériaux composite à très haute résistance. L’auteur se rappelle encore de la tête des dirigeants de cette entreprise lorsque les premiers rapports des unités situées en Afrique, dont Djibouti tombèrent : les FAMAS distribués pour essais en corps de troupe « fondaient » au soleil, surtout si on les laissait comme à l’habitude sur le capot d’une jeep ou d’un VLRA ! D’où la consigne : « marche à l’ombre ! ». Mais l’EMAT et la STAT et encore moins GIAT apprécièrent la plaisanterie et l’enveloppe en matériaux composites du être entièrement revue pour pouvoir supporter de fortes chaleurs ou de très grands froids (l’enveloppe, dans ce dernier cas, cassait comme du verre). Notons que nos amis autrichiens avec leur Steyr AUG connurent les mêmes problèmes. Ceux-ci n’ont pas toujours disparus aujourd’hui avec les armes en matériaux composites. La « marche à l’ombre » reste donc toujours d’actualité, même si la consigne est fortement atténuée. Notons, pour faire bonne mesure qu’une arme en bois et acier ; surtout la bonne vieille MAT 49 toute en acier, connaissait le même problème, brûlante après une exposition prolongée au soleil.
D’où la généralisation en OPEX des gants qui protègent autant du chaud, du froid mais aussi des petits éclats. Ceci sans compter les « enrobages » destinés au camouflage de l’arme mais aussi à sa protection thermique. Autre problème pour la MAS, celui des personnels qualifiés pour fabriquer le FAMAS, les chaînes de production du MAS 49/56 étant fermées (on oublie un peu trop souvent qu’au début des années 1980 l’industrie armurière militaire française avait déjà pratiquement disparu). Il fallut embaucher et former de nouveaux personnels pour la plus grande satisfaction des syndicats. Avec le FAMAS on achetait la paix sociale dans le bassin stéphanois dont la célèbre Manufacture civile d’armes et cycles venait de fermer. Heureusement, il restait alors à la MAS des anciens fort proche de la retraite mais ces seniors surent transmettre leur savoir-faire aux jeunes. A titre d’exemple, à la fin des années 1970, il ne restait plus à la MAS que 5 ou 6 « redresseurs de canons », une spécialité qui réclamait près d’une dizaine d’années de formation ! Faute de ces « redresseurs » la production des canons partaient à la dérive, voire s’arrêtait sinon au risque de voir un fusil sur X « tirer aux poires ». Heureusement, le contrôle par système laser remplaça l’humain, mais peut être pas à 100 %…
L’ensemble de ses mesures coûtèrent une fortune aux armées alors que le but initial était d’acheter le meilleur au moindre prix. Si le FAMAS s’imposa comme l’un des meilleurs de sa génération, son prix perturba largement le service « budget/planification » de l’EMAT avec un prix unitaire TTC et commissions DGA comprise de l’ordre de 1 500 Euros pièce, prix du début des années 1980 (avec mallette de transport et accessoires) alors qu’un M-16 coûtait environ 500 Euros HT ! Il fallait bien répercuter les investissements d’infrastructure et d’équipements (machines outils) ainsi que les salaires des ouvriers d’Etat. Mais comme via les taxes diverses (impôts locaux, sur les salaires, taxe professionnelle, TVA, etc.) l’Etat récupérait pas moins de 60 % du prix d’un FAMAS, ce fut une bonne affaire pour le ministère des finances, celui des affaires sociales et de la région mais pas pour les armées qui payèrent l’intégralité de la facture. D’où le début d’une grogne qui perdure encore aujourd’hui car le système n’a guère changé avec les armées qui paient « plein pot » et Bercy qui récupère tout, y compris les aides financières internationales qui financent les OPEX (7).

Un début en fanfare pour le « Clairon » (8)
Lors de son arrivée en unités, le FAMAS tant décrié dans une certaine presse, fit une bonne impression malgré les réserves de certains conservateurs pour qui un bullpup n’était pas un vrai fusil. Toutefois, les fantassins mécanisés ou transportés sur VAB apprécièrent son faible encombrement, son poids acceptable, sa poignée de transport et son bipied. Ils apprécièrent aussi sa cadence de tir de 1 000 coups/minute qui permettait d’effectuer une boule de feu dans la profondeur des 300 m contre 100 m au grand maximum pour le PM MAT 49. La mise en service du FAMAS modifia le combat d’infanterie. Il modifia aussi la manière de porter l’arme lors des défilés qui, au lieu d’être portée à l’épaule comme le FSA 49/56, se portait croisé sur la poitrine. De plus, son bipied n’imposait plus la formation des faisceaux. La létalité de son projectile de 5,56 mm, déjà établie au Vietnam, fut confirmée en Afrique (Tchad en particulier) au point que les médecins mirent un certain temps avant de savoir comment réduire les blessures qu’il causait. Lors des manoeuvres de l’Alliance atlantique, le FAMAS attira la curiosité des troupes alliées par son aspect futuriste mais aussi sa précision. Le sentiment d’infériorité des fantassins français dotés jusqu’alors de FSA 49/56 et de PM MAT 49 face aux fusils d’assaut du type FAL, G3 et M-16 disparut. L’impatience de l’armée française à percevoir enfin un fusil d’assaut performant fut telle que pour les casques bleus engagés au Liban, on acheta sur étagère, vers le milieu des années 1970, un lot de quelques centaines de SIG 540 en 5,56 mm via Manurhin. Ces armes furent par la suite utilisées par les forces déployées en Afrique. Sur le plan logistique, le problème de la munition particulière de 5,56 mm Mle F1 avec son étui en acier ne posait aucun problème particulier. En effet, nous étions toujours en guerre froide et l’armée française « en réserve de l’OTAN » sur le théâtre centre-Europe assurait elle-même ses approvisionnements comme en Afrique.

Le tournant de la SS 109
Dans les années 1970, la FN Herstal, consciente que les fusils d’assaut en 5,56 mm n’avaient qu’une portée pratique de 300 m, et donc créaient ce qu’on appelait alors le « trou des 600 m », car les mitrailleuses légères en 7,62 mm traitaient des objectifs à partir de 600 m et au-delà, mit au point une mitrailleuse légère en 5,56 mm mais avec une nouvelle munition dite SS 109, aux performances supérieures à la 5,56 mm classique et qui lui permettait de battre un objectif jusqu’à 600 m. Ce fut la Minimi qui connu un succès international. Toutefois, cette nouvelle munition à étui laiton ne pouvait être tirée qu’avec des canons rayés au pas de 7 pouces au lieu de 12 pouces comme sur le FAMAS et le M-16. Standardisée OTAN, la SS 109, s’imposa à tous, sauf à l’armée française qui conserva ses FAMAS au canon rayé au pas de 12 pouces avec sa cartouche Mle F1. Le trou des 600 m fut comblé grâce à la Minimi achetée par l’armée française qui « mange » toutes les munitions de 5,56 mm mais seulement lorsqu’elle approvisionnée par maillon. Bien conscient du problème de munitions qui ne remettait pas en cause l’arme en elle-même, GIAT Industries lança, une fois réaliser les dotations armée française le FAMAS G 1, puis le G 2 avec canon au pas de 9 pouces qui fut adopté par la Marine nationale. Nexter définit alors un FAMAS surbaissé au pas de 9 pouces puis une version FELIN au pas de 7 pouces dont les canons furent fournis par Beretta.

Le remplacement du FAMAS
Ce dernier n’est pas lié à l’arme elle-même mais au fait qu’elle soit arrivée en butée de développement et d’évolution. En effet, et comme tous les bullpup, il ne présente pas les possibilités d’évolution nécessaire au combat d’infanterie dans les années qui viennent. En particulier celle de recevoir des rails Picatinny d’une longueur suffisante pour y installer des systèmes de visée. Aussi, dès 2009, fut lancée une étude pour une Arme Individuelle Future (AIF) à culasse calée capable de tirer l’ensemble des munitions de 5,56 mm OTAN et de recevoir le système FELIN. L’arme devra se présenter en version standard d’une longueur de 80 à 90 cm avec crosse pliante mais aussi une version courte d’environ 80 cm. Un lance-grenades de 40 mm devra pouvoir être installée sous le fût tandis que son chargeur de 30 cartouches sera interchangeable avec celui du M-16. Le besoin exprimé est de 100 000 AIF y compris les réserves.
L’appel d’offres sera lancé dans les mois qui viennent auprès des armuriers capables de fournir rapidement une AIF adaptée aux besoins de l’armée française. Le général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre devait déclarer dans le cadre de la loi de finance 2012 devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat au sujet de l’AIF : « Pour ce qui est du remplacement du FAMAS, je regrette comme vous que cette arme ne puisse être française. Les équipements de petit calibre sont des équipements de cohérence. Malheureusement ce sont les premiers à être supprimés lors des arbitrages budgétaires. Nous savons que nous garderons le calibre 5,56 et que nous achèterons sur étagère deux versions ; une version standard à canon long principalement pour les unités d’infanterie, une version à canon court pour les autres. La cible du programme, toutes armées confondues, est de 60 000 pour la version standard. Le coût sera de l’ordre de 400 millions d’euros pour les trois armées. D’ici 2013, sera lancée l’appel d’offres et le matériel retenu devra bien sûr être compatible avec le FELIN ».

Notes
(1) Des prototypes de fusils bull pup en calibre 7,62 x 51 furent réalisés par la MAS (Type B) à l’aube des années 1950 pour études et essais suivant un concept inventé par un armurier britannique. Toutefois, cette voie ne fut pas poursuivie car dans le tir par rafale, l’arme se révéla incontrôlable et la détonation préjudiciable l’arme et au tireur.
(2) Dont plusieurs milliers d’exemplaires furent livrés l’armée libanaise par exemple. L’Allemagne n’ayant pas le droit d’exporter hors pays de l’OTAN du matériem de guerre, le relais de la MAS représentait une solution acceptable.
(3) Elle fut envisagée pour qu’en temps de guerre, les M-16 remplacent, du moins pour partie, les vieux FR MAS 36 et PM MAT 49 dont étaient dotée les unités de la force de réserve.
(4) La démarche fut identique pour les armées autrichienne et britannique ce qui les poussa à définir des armes du type bullpup comme le FAMAS.
(5) L’idée n’était pas si farfelue car un pistolet automatique avec chargeur de 20 coups capable de tirer par courtes rafales est destiné à « faire baisser les têtes » le temps de dégager. Cette idé a été reprise dans les années 1970 par Beretta avec son PA 93 R en 9 mm OTAN capable de tirer par rafales de 3 coups avec un chargeur de 15 ou 20 coups mais qui n’est plus produit aujourd’hui.
(6) Ce marché fut négocié par une équipe dont faisait partie un ami, aujourd’hui disparu, de l’auteur.
(7) La guerre du Golfe en fut un exemple « flamboyant »

Article paru dans DSI Hors-Série n° 24, juin-juillet 2012.

À propos de l'auteur

Stéphane Ferrard

Journaliste spécialiste des questions de Défense, ancien rédacteur en chef de la revue Défense & Armement-Herakles. Décédé en 2015, il était l'un des meilleurs spécialistes de l'armement français (auquel il consacra plusieurs ouvrages techniques et historiques de référence) et fut l'un des premiers et des plus fidèles collaborateurs du magazine DSI.

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